Chrétiens d’Irak

Et si un député pouvait aussi servir à ça ? Vendredi matin, Etienne Blanc recevait quelques journalistes en sa mairie de Divonne. Pas d’élections en vue et (presque) aucune arrière-pensée politique. Au menu de ce petit déjeuner, les chrétiens d’Irak. Pas vraiment glamour mais déterminant pour l’avenir du monde… et pour notre simple conscience humaine.

La veille, Etienne Blanc était rentré d’Erbil, la métropole du Kurdistan irakien. Une mission aux allures un rien partisanes (cinq « missionnaires », tous UMP : François Fillon, Pierre Lellouche, Valérie Pécresse, Eric Ciotti et notre député divonnais). Pourtant, notre homme semble réellement, profondément touché par ce qu’il vient de voir, de vivre.

La situation sur place, chacun la connaît désormais. Après le règne de Saddam Hussein, l’intervention américaine et la mise en place à Bagdad d’un gouvernement uni-confessionnel (chiite) excluant toute participation de l’autre composante de l’équilibre religieux irakien, les sunnites si longtemps favorisés par Saddam.

La mayonnaise a pris corps lentement mais inexorablement car, dans ce coin d’univers, la violence et l’injustice s’étaient installées comme une évidence. A l’exemple des Palestiniens, longtemps pacifiques, plutôt insensibles à tout absolutisme religieux mais finalement poussés vers l’extrémisme par les exactions israéliennes, les sunnites (syriens puis irakiens) n’avaient pu qu’entrer en résistance, s’engageant en masse dans les groupes armés clandestins ou se contentant de leur apporter un soutien logistique. Au fil des mois, les premiers révoltés ont été rejoints, noyautés et entraînés par des extrémistes islamistes. La vague est devenue tsunami. D’anciens militaires de Saddam ont rejoint la rébellion et le large soutien financier de belles démocraties régionales (Arabie Saoudite, Qatar) a fait le reste. L’heure est désormais aux meurtres, aux exécutions collectives, aux crucifixions (!), aux viols, aux exactions, aux pillages et à l’épuration ethnico-religieuse.

Les chrétiens d’Irak sont les héritiers directs des premières heures du christianisme. Longtemps protégés par Saddam (ils le paient aujourd’hui) et pris en otages dans une guerre qui aurait dû leur rester étrangère. Voilà dix ans, ils étaient 1,4 million ; ils ne sont plus que 400.000 sur le terrain. Les autres sont morts ou ont fui. Il y en a plusieurs dizaines de milliers aujourd’hui dans les camps installés à la périphérie d’Erbil, capitale du Kurdistan irakien. Provisoirement en sécurité ? A voir. Certes, les Kurdes d’Irak, musulmans pour la plupart, les ont accueillis avec une incroyable humanité. Mais les combattants kurdes (les peshmergas) ne disposent que d’armes légères car le gouvernement de Bagdad s’est toujours méfié d’eux : lorsque l’armée officielle irakienne d’est débandée face à l’avancée de l’EI (Etat Islamique), beaucoup de chars et d’armes lourdes sont tombés entre les mains des assaillants mais rien n’a été laissé aux Kurdes pour se défendre et protéger leur « pays ». Les peshmergas de battent avec des kalachnikov ou de simples fusils face à des agresseurs disposant, par exemple, de pick-up flambant neufs, blindés et ultra-rapides, capables d’incursions meurtrières et imparables.

Au-delà de la chronique militaire, ce sont deux dimensions essentielles de l’humanité qui sont en danger : la « morale » de la guerre selon laquelle on ne s’attaque pas aux civils innocents ; et la survie d’un équilibre vieux de vingt siècles, souvent précaire certes, mais dans lequel les communautés chrétiennes de la première heure ont toujours eu leur place.

Que faire désormais ? Aider financièrement le Kurdistan irakien et les ONG à accueillir dignement et en nombre suffisant les réfugiés chrétiens – et les autres car il y en a, minorités ethniques, chiites pourchassé ou même sunnites opposés à ce bain de sang. Oui mais cela ne suffit pas, ne suffira pas. Faire la guerre pour arrêter, voire anéantir l’Etat Islamique ? On s’y prépare, hélas ou tant mieux. Avec l’aide semble-t-il, paradoxe de l’Histoire ou simple pantalonnade, des financeurs de l’EI, Arabie Saoudite et Qatar en tête. Mais, quel qu’en soit le résultat, la région est désormais fracassée en profondeur. Et pour longtemps. Actuellement réfugiés à Erbil, les 200.000 chrétiens voudrons-ils, pourront-ils retourner sur leurs terres, se réinstaller dans leur maison où, sous leurs yeux, les islamistes sunnites ont violé ou égorgé leurs propres enfants ? Certains, peut-être. Mais pas tous.

Alors, l’exil ? Beaucoup ne voient plus que cette solution mais, sens de l’Histoire ou simple cynisme, l’Occident chrétien préférerait favoriser leur maintien que leur accueil. Pour preuve, la France n’a pour l’heure accueilli sur son sol qu’une quarantaine chrétiens d’Irak !

Leur nombre augmentera pourtant, qu’on le souhaite ou non. La France sera sans doute amenée à en accueillir bien davantage. Etienne Blanc évoque, pour les recueillir, des églises, des congrégations religieuses… Comme si la société civile, laïque, n’était pas capable du même effort, du même engagement, de la même humanité. Pourquoi le Pays de Gex, par exemple, ne pourrait-il faire savoir à Fabius qu’il est prêt à organiser et assumer la venue de quelques dizaines d’entre eux ? D’autant que ces futurs réfugiés ne rêvent que de deux choses, vivre en paix et travailler. Ils ne devraient donc pas rester très longtemps à la charge de la collectivité.

En parallèle, il faudra bien, un jour, condamner et punir les auteurs de ces atrocités. Le Tribunal Pénal International est là pour ça. Peut-être parviendra-t-il à juger quelques-uns des criminels de guerre. Mais ce ne sera qu’une goutte dans l’océan si on ne s’attaque pas aux racines du mal, c’est-à-dire aux financeurs, aux bailleurs de fonds, aux complices et aux véritables donneurs d’ordre de cette épouvantable aventure. Le TPI aura enfin justifié son existence lorsque des responsables politiques ou économiques, en particulier saoudiens ou qataris, auront été arrêtés et présenté au Tribunal. Ce n’est sans doute pas demain la veille mais il n’est pas interdit de rêver.

Alex Décotte, 6 septembre 2014

 

 

 

 

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