Comme une trainée de poudre

Fetard FC 45

La nouvelle s’était répandue comme une traînée de poudre : le bon Roy Étienne aurait, disait-on, perdu l’autorisation de conduire des carrosses. Les spadassins de l’empereur de Lutèce, dit Nicolas le Petit, avaient estimé sa vitesse avec une étrange cassette qui, disait-on, émettait des ondes à la manière des chauves-souris. Aussi le Roy Étienne avait-il créé une nouvelle charge de régisseur des carrosses qu’il avait confiée à un de ses fidèles chevau-légers

Le Royaume venait de connaître des jours tourmentés. Des élections générales avaient en effet été organisées pour que le bon peuple désignât ses représentants au parlement.

Seuls les courtisans du Roy Étienne avaient brigué les suffrages des manants et ils furent tous élus avec la plus grande unanimité. Seuls les fidèles étaient venus lui rendre hommage en déposant dans l’urne royale un bulletin à la gloire du Prince. Comme trois manants sur quatre avaient refusé de cautionner le Roy, le bon peuple, pensant sans doute à un gâteau populaire appelé quatre quarts, l’affubla d’un nouveau sobriquet, celui de Quart-Roy.

Ses opposants avaient jugé bon de s’abstenir, ce qui avait provoqué une grande colère exprimée par le chroniqueur attaché à la cour. Comment, s’exclamait-il, peut-on prétendre s’opposer au Roy et ne point avoir le courage de persister à le contredire ? Nul ne savait s’il ne cherchait pas, en fait, à atteindre par ricochet les courtisans, les moutons-blancs, qui jamais ne contredisaient les caprices du Roy, l’élevant ainsi au rang de monarque absolu par défaut d’opposition.

On ne savait plus d’où venait cette expression de mouton-blanc qui provoquait le courroux des courtisans. Certains historiens supputaient qu’elle avait été créée par un preux chevalier Arbérois, corrélativement au sobriquet de Loup-Blanc qui désignait le Roy à son arrivée au Royaume de Divonne. Pour ne pas être dévorés par le Loup-Blanc, les moutons devaient être soumis et les courtisans devinrent ainsi, par dérision, les moutons-blancs. Tout cela était conté dans une fort ancienne complainte chantée par les baladins et qui avait pour titre,  » le Loup, le Mouton et le Chevalier  »

Les manants manifestaient une indifférence croissante envers le Roy, qui ne semblait guère se soucier d’eux. Il rêvait de nouvelles conquêtes qui le propulseraient dans les très hautes sphères des pouvoirs temporels. Le bon Roy Étienne craignait néanmoins de perdre le trône des Pays de Gex et des communautés associées, car ses principaux alliés, le Roy de Fernex et la Reine de Thoiry avaient été éliminés dans les joutes qui avaient eu lieu dans leurs royaumes respectifs.

Le Roy paraissait particulièrement affligé de la cruelle défaite de La Reine Jocelyne, qu’il appréciait beaucoup. On racontait dans les chaumières qu’il avait même fêté avec elle et son mari la Saint-Valentin dans une auberge réputée du Royaume de Thoiry, comme la Reine Jocelyne en avait elle-même fait confidence au célèbre chroniqueur Messire Alex Des Cottes.

Divers portraits de cette Dame la représentaient dans les gazettes qui relataient ses hauts faits. Les manants pouvaient la contempler et tentaient de prédire, suivant qu’elle penchait la tête à gauche ou à droite, de quel côté allaient souffler les vents.

Un autre événement allait défrayer la chronique. La veille du jour des Rameaux, en l’an de grâce deux mil sept, le Roy réunit le Parlement afin que celui-ci élise en son sein celui qui serait digne d’être élevé au rang de Grand Chambellan. Les avis des courtisans étaient partagés, et quelques-uns, dont les propos péchaient sans doute par imprudence, s’étaient enhardis au point de clamer qu’ils n’apporteraient pas leur voix au protégé du Roy.

Le bon peuple, avide d’empoignades chevaleresques, frétillait d’impatience, tel un goujon. Vains espoirs ; la rébellion n’eut même pas à rentrer dans l’œuf dont elle n’était pas sortie, car ce fut bien le protégé du Roy qui fut choisi unanimement par l’assemblée.

Cette année-là, le jour des Rameaux n’apporta pas l’espoir d’une résurrection dans la vie de la Cour. Les moutons avaient sans doute bêlé un peu trop fort mais ils étaient rentrés sagement dans le blanc troupeau. Panurge avait, une fois encore, montré que le berger ne sautait jamais seul dans le précipice et qu’il entraînait dans sa chute des créatures consentantes

Le Roy Étienne tint cependant des propos qui provoquèrent l’inquiétude des manants, en prétendant que ses sujets ne payaient pas assez de taxes et gabelles destinées à maintenir le faste de la Cour. Et le bon peuple, qui n’en pouvait plus d’acquitter taille, dîme et gabelle, et d’acquérir blé et farines dont le cours n’avait de cesse de monter, était prêt à saisir fourches et gourdins pour faire entendre raison au Roy et à ses courtisans

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Le Marquis de La Panosse

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